Je ne sais pas à quoi ressemble ta vie mais moi je cours. Pas le petit running propret façon Insta.
Non.
Beaucoup d’énergie, assez peu de maîtrise.
Ma vie quoi.
Je cours, je cours et je dépense une énergie folle ; je lutte toute la sainte journée pour que les enfants vivent dans un environnement rassurant. Qu’ils soient nourris et habillés, épanouis, tranquillisés… Que l’appartement soit rangé, les grands événements célébrés, les proches vus régulièrement, les petits corps défoulés au parc, les petits cerveaux développés par la lecture, les coeurs câlinés. Pour que le quotidien soit structurant et épanouissant, réjouissant, prometteur et faiseur de souvenirs, je fais en sorte que la discipline nécessaire au quotidien s’évanouisse dans les limbes de mon amour pour eux. C’est mon challenge personnel: que tout le stress d’une vie avec eux, petits chats en bas âge, soit absorbé par moi pour qu’il n’y en ait pas un milligramme qui leur retombe dessus.
Alors je m’agite dans tous les sens pour être la plus apaisante possible (on n’est pas à un paradoxe près).

Et puis un jour j’ai découvert ma voisine. Ma voisine a 3 enfants. 6 ans, 3 ans et 6 mois. Et le matin, quand l’ascenseur – dans lequel en l’espace de cinq étages il faut que je me coiffe, noue mon écharpe, ferme mon manteau, rentre mon jeans dans mes boots, mette mes écouteurs dans mes oreilles et mon masque sur le nez – quand l’ascenseur donc s’ouvre sur elle, la meuf rentre façon « Petite maison dans la prairie ». En sautillant et suivie de ses trois enfants. Au cordeau. Pas en retard, encore moins en panique, les trois enfants préparés comme des cakes parfaitement cuits avec un glaçage au sucre. Bien peignés et souriants. Et elle, elle a une natte. Il est 8h08, elle a trois enfants et la fille a eu le temps de se faire une natte.
« Hello !!! » elle chante le matin en entrant dans l’ascenseur. Moi je lève la tête de mes boots, avec l’élastique du masque dans la bouche et les écouteurs qui pendouillent, et je me dis qu’elle, non seulement elle rend la vie de ses enfants apaisante, mais elle EST apaisante. C’est sa natte qui le dit: no panic, on a le temps.
L’autre jour, elle avait encore relevé le challenge avec brio, alors même que les jours passant, il se corse puisque nous arrivons en hiver, avec beaucoup plus de couches sur chaque enfant. Mais elle a débarqué devant l’ascenseur avec sa natte. Son mari l’accompagnait, tout souriant lui aussi. Elle a posé un pied un pied vers nous et s’est soudainement arrêtée:
« Mince! J’ai oublié quelque-chose! » elle a dit avec empressement, en tournant les talons direction l’appartement.
Son mari a appuyé sur le bouton qui maintient les portes ouvertes, et, sans une once d’énervement, il a dit:
« Tu vas être mise à l’amende!! » avec un grand sourire.
Elle est revenue six secondes plus tard avec son masque, en souriant aussi.
Je suis arrivée dans la rue, j’ai réalisé que mes écouteurs s’étaient emmêlés avec l’élastique de mon masque, j’ai tiré dessus pour les extirper – sans succès bien entendu – tout en marchant vite puisque, comme tous les matins, j’étais en retard. En maugréant comme une vieille mamie acariâtre, je me suis dit que j’allais quand même essayer la natte. On ne sait jamais.